Chaîne d'approvisionnement alimentaire courte et transition écologique

INTRODUCTION

Dans ce chapitre, nous chercherons une réponse à la question de savoir si les chaînes d'approvisionnement alimentaire courtes ont un effet positif sur les gaz à effet de serre, la pollution et la biodiversité.

Si l’on analyse le bilan carbone d’une CAAC, il arrive que des camionnettes à moitié vides et les consommateurs se rendent dans un point de vente agricole pour distribuer ou acheter quelques kilos de produits. Dans ce cas, ils contribuent davantage au réchauffement climatique que le transport longue distance par camion ou bateau. Cette caractéristique liée aux circuits courts sert d'argument aux lobbies industriels pour promouvoir la chaîne alimentaire industrielle.

Les circuits courts sont le premier pas vers une économie relocalisée mais aussi d'une nouvelle économie, plus écologique, démocratique et sociale. Les différents éléments qui la composeront ne sont pas encore connectés entre eux, contrairement à l'économie mondialisée. Il y a donc encore beaucoup de progrès à faire, sur le plan organisationnel et environnemental. Sur le thème des derniers kilomètres des produits par exemple, nous examinerons comment les villes se mobilisent pour mettre en place les "zones à faible émission" afin de répondre aux critères environnementaux.

Pour atteindre les objectifs environnementaux européens en 2030, les facilitateurs ruraux peuvent (et doivent) soutenir les actionnaires des CAAC à réduire leurs émissions de CO2 et à travailler sur la transmission agro-écologique.

Nous proposons dans ce chapitre :

  • de passer en revue les éléments qui peuvent influencer le bilan environnemental des projets de chaînes alimentaires courtes.
  • d'illustrer les bonnes pratiques pour favoriser leur mise en œuvre locale.

OBJECTIFS DU CHAPITRE/RÉSUMÉ :

Les facilitateurs ruraux trouveront des informations sur les impacts de la CAAC sur la transition écologique car les futurs facilitateurs doivent connaître et utiliser les pratiques les plus respectueuses de l'environnement afin de réduire les émissions de CO2, les émissions d'autres polluants atmosphériques, les emballages non réutilisables, l’usage de produits chimiques nuisibles. Grâce à ce chapitre, ils disposeront de solutions pour minimiser ces impacts dans les projets qu'ils animent au niveau local. Ce sujet est basé sur le mouvement législatif et théorique français appelé transition écologique, qui sera détaillé afin de mettre l'accent sur un système agro-alimentaire plus durable.

MOTS CLÉS :

Transition écologique, agriculture verte, agro-écologie, réutilisation des emballages, transformation locale, mutualisation logistique, économie locale.

OBJECTIFS D'APPRENTISSAGE :

Les facilitateurs sont conscients des maillons faibles des circuits courts du point de vue de l’agro-écologie. Ils acquièrent des connaissances pour argumenter auprès de leurs partenaires (intermédiaires, agriculteurs, consommateurs, municipalités locales, etc.) et être capable de les convaincre. 

Ils sauront comment prendre les décisions (ou stimuler les dynamiques), ce qui permettra d’améliorer l’évaluation environnementale du ou des projets.

Les facteurs qui influencent l'équilibre environnemental et ce qu'il faut faire pour l'améliorer :

Dans ce chapitre, nous examinerons les possibilités de techniques qui respectent l'environnement à travers les principales étapes des CAAC.  L'objectif est de présenter aux futurs facilitateurs où ils devront intervenir dans les pratiques afin de réduire les émissions de CO2, les émissions d’autres polluants atmosphériques, les emballages non réutilisables et les applications de produits chimiques nocifs. La CAAC offre une alternative pour renforcer ces activités car ses consommateurs sont souvent ouverts d'esprit et sensibles aux produits écologiques. De plus, la plupart d'entre eux sont prêts à payer plus pour manger des aliments bios ou qui utilisent des technologies agricoles et des moyens de transport plus réfléchis. Cette tendance nécessite davantage de connaissances et une assistance de la part des spécialistes de l'environnement pour mieux comprendre l’agro-écologie, la biodiversité, la souveraineté alimentaire et la production de produits organiques, qui sont souvent exigés par les consommateurs et les agriculteurs conscients.

Tout d'abord, nous définirons le terme français de la transmission écologique dont l'importance et le rôle futur dans la politique agricole commune européenne sont soulignés par le Parlement européen (Parlement européen, 2016) et le Comité économique et social européen (CESE) (Savigny, G. 2019). 

Savigny a fait valoir que le CESE souhaiterait que le projet d’agro-écologie soit déployé dans toute l'UE, sur la base d'un plan d'action structuré accompagné de diverses formes de leviers aux niveaux local, régional et européen. Elle a mentionné certaines mesures qui contribueraient à la transition écologique et au développement des chaînes d'approvisionnement alimentaire courtes, telles que les financements accessibles dans le cadre du deuxième pilier de la PAC (Politique Agricole Commune), l'application de la législation alimentaire aux petits agriculteurs de manière flexible pour la production à petite échelle, la création ou le renforcement de services d'éducation et de conseil appropriés pour la vente directe et l'agro-écologie, l'encouragement des réseaux d'échange entre agriculteurs ; l'orientation de la recherche vers l'agro-écologie et les besoins des producteurs dans les circuits courts, l'adaptation des règles de concurrence pour faciliter l'approvisionnement de la restauration collective à travers des chaînes courtes et locales.

Ces points renforcent le rôle de ce chapitre et l'approche environnementale qui doit être considérée et acquise par les acteurs des chaînes d'approvisionnement alimentaire courtes qui aideraient les agriculteurs à produire, transformer et vendre.

Au cours de la dernière décennie, les gouvernements français ont commencé à renforcer les mesures visant à rendre l'agriculture plus écologique. Depuis le plan "Ecophyto 2018" (Commission européenne, 2018) adopté par le ministère de l'agriculture en 2008, et jusqu'à la nouvelle loi d'orientation agricole (la Loi d'avenir du 13 octobre 2014) qui fait explicitement référence à l'agro-écologie, les mesures institutionnelles ont été renforcées pour encourager les agriculteurs à adopter des pratiques plus soutenables.  Dans le cadre de ces législations les producteurs sont incités à mettre en œuvre des méthodes de production alternatives pour réduire l'utilisation d'intrants de synthèse et à combiner les performances économiques, environnementales et sociales (Magrini et al., 2019).

Magrini et al. (2019) a décrit ce processus politique, environnemental, social et au moins économique dans ses études qui sont citées ci-dessous pour avoir une meilleure compréhension :

"Cette transformation de l'agriculture remet également en question les aliments (Francis et al. 2003 ; Barbier et Elzen 2012 ; Hinrichs 2014 ; Gliessman 2015). La FAO (2012) définit la durabilité de notre alimentation comme étant fortement liée à celle de notre agriculture, selon les cinq critères suivants :

  1.  protège la biodiversité des écosystèmes ; 
  2. C’est accessible et culturellement acceptable ;
  3. C’est économiquement équitable et abordable ;
  4. C’est sûre, nutritionnellement adéquate et saine ;
  5. Optimise l'utilisation des ressources naturelles et humaines. 

La durabilité des systèmes agricoles et alimentaires implique donc simultanément des changements techniques et les valeurs qui les régissent : elle exige la mise en œuvre de "changements non technologiques", tels que ceux qui concernent le comportement des consommateurs, l'environnement, la santé et la sécurité alimentaire. (OCDE 2010). Ceci est d'autant plus pertinent que nos "pratiques agricoles ne sont pas déterminées principalement par la science agronomique ou écologique, mais plutôt par les marchés, les réglementations et les programmes de soutien à l'agriculture" (Weiner 2017).

Cette transformation systémique consistant à écologiser notre agriculture et notre alimentation, qui concerne de multiples acteurs (agriculteurs, filières ou gestionnaires de ressources naturelles) et qui est marquée d'une volonté politique délibérée de changement, est qualifiée de transition agro écologique (Duru et al. 2015a). Notons qu'il s'agit d'une transition et non d'une révolution, car elle n'implique pas explicitement la nécessité d'autres changements relatifs aux fondements capitalistes du modèle sociétal qui sous-tend notre agriculture et notre alimentation (cf. Hinrichs 2014 ou Brown et al. 2012). C'est une transition en devenir au sein de notre régime capitaliste, pour aller vers un système agricole et alimentaire plus viable."

L'autre définition que nous devons préciser est celle de l'agro-écologie

"Le terme agroécologie a été utilisé pour la première fois dans les années 1930 par Bensin, un agronome russe, initialement en référence à l'application de méthodes écologiques à la recherche en matière de cultures. L'agro-écologie peut être définie de manière générale comme un ensemble cohérent qui permet de concevoir des systèmes de production agricole qui exploitent les fonctionnalités des écosystèmes, réduisent la pression sur l'environnement et protègent les ressources naturelles. En termes scientifiques, l'agro-écologie peut être définie comme une discipline à la croisée des chemins entre l'agronomie, l'écologie et les sciences sociales, avec une préférence pour les approches systémiques. À la fin des années 1990, l'agro-écologie a été adoptée par le Conseil de l’Europe. Enfin, lorsqu'ils se produisent, les mouvements agro-écologiques ont tendance à le faire en marge de la tendance dominante à la modernisation de l'agriculture et favorisent le développement rural, la souveraineté alimentaire et une agriculture respectueuse de l'environnement" (Schaller, 2013).

Dans les sous-sections suivantes, nous donnerons un aperçu des principales étapes et pratiques de la transition écologique en nous basant sur les étapes des chaînes d'approvisionnement : production, transformation, emballage, logistique, consommateurs et gouvernance. 

Les techniques de production agricole : la priorité

La production agricole contribue à plus de 50% au bilan global des émissions de CO2, bien avant le transport, l'emballage, la transformation (Schaller, 2013).

Le défi pour les facilitateurs est donc à la fois de travailler avec les agriculteurs qui ont les meilleures pratiques agro-écologiques et d'encourager le changement de pratiques chez les autres. Voici quelques éléments sur lesquels il peut s'appuyer :

     A. Intrants

L'utilisation d'intrants externes au lieu de ressources locales génère une perte de connaissances car elles ne dépendent plus des communautés autochtones locales : elles viennent de l'extérieur, elles sont reçues, selon une approche descendante, des mains des fournisseurs d'intrants et des experts externes (LRD, 2007). Les agriculteurs tendent à être réduits à être des récepteurs passifs sans avoir le choix de la technologie (Medina, 2009). Cela reflète également un changement radical des relations avec la nature par rapport aux agricultures paysannes traditionnelles.

Les fertilisants minéraux (par exemple, l'azote, le phosphore), largement utilisés dans l'agriculture conventionnelle, proviennent d’énergie fossile. Leur utilisation est souvent corrélée à des pratiques favorisant la monoculture. C'est pourquoi ces nouvelles solidarités passent par la gestion des rejets d'élevage à l'échelle des territoires, et le remplacement des fertilisants minéraux par des fertilisants organiques.

L'autre sujet souvent mis en avant est l'origine des protéines. Les importations européennes de soja ont été multipliées par 5 depuis le début des années 70. Le soja joue un rôle moteur dans la déforestation de l'Amazonie et des savanes arborées, de plus il est principalement génétiquement modifié (GM) ce qui signifie des risques imprévisibles pour la santé humaine et animale. L'Union européenne importe chaque année 17 millions de tonnes de protéines brutes végétales (soja, légumineuses, tournesol, etc.), dont 13 millions de tonnes de soja, ce qui en fait le deuxième importateur mondial derrière la Chine. Ces chiffres énormes sont gouvernés par des sociétés agroalimentaires monopolistiques ; des liens croissants entre l’industrie alimentaire et du carburant, une "révolution des supermarchés", la libéralisation du commerce mondial de l'alimentation, une propriété foncière de plus en plus concentrée, une base de ressources naturelles en diminution et une opposition croissante des mouvements alimentaires dans le monde entier" (Holt-Giménez et Shattuck, 2011).

Les graines sont sélectionnées pour leur rendement plus que pour leur résistance aux maladies ou au stress hydrique. Le duo "semences - produits phytosanitaires" est parfaitement illustré par les firmes multinationales qui développent les deux (ex. Syngenta). Pourtant la variété des semences locales peut favoriser la résilience face aux risques climatiques en enrichissant la biodiversité ainsi que la résistance aux parasites.

     B. Autonomie énergétique (et source : fossile ou renouvelable)

Tout ce qui permet d'économiser de l'énergie fossile améliore le bilan environnemental de l'agriculteur. Chaque territoire en Europe a des productions adaptées aux saisons. Produire des tomates en hiver aux Pays-Bas, même si elles sont consommées à proximité, aura un impact environnemental lié au chauffage d'une serre et à l'investissement matériel qui l'accompagne.

La solution pour le facilitateur : s'appuyer sur des agriculteurs engagés dans l'agro-écologie et des territoires dans le verdissement de l'agriculture.

     C. L'approche par les sous-produits

Certaines productions agricoles peuvent avoir d'autres usages que l'alimentation, on les appelle des sous-produits. Par exemple, la paille peut être utilisée pour construire des maisons en plus de produire du blé, le chanvre pour fabriquer des tissus en plus de produire huile, le cuir des vaches pour créer des sacs en plus de produire de la viande ou du lait, la laine des moutons en plus de la viande. Cette approche " sous-produit " permet d'augmenter l'impact de la CAAC dans la transition écologique : moins de pression sur les terres, moins d'impact sur la pollution par rapport à un produit similaire issu de l'industrie (biodégradable), moins de transport (si les produits sont utilisés principalement sur le territoire). En outre, cela apporte des revenus supplémentaires. Cependant, le cadre législatif national constitue souvent un obstacle important à l'utilisation des sous-produits et des revenus secondaires et à la création de valeur ajoutée. En tant que facilitateur, il est important de consulter la réglementation nationale, principalement dans le cas des sous-produits animaux.

     D. Les pratiques agricoles

Il s'agit de quelques bonnes pratiques qui peuvent guider un facilitateur lors de ses échanges avec les producteurs (Osez agriculture, 2020).

  • Une rotation qui inclut des légumineuses pour fixer l'azote dans le sol ;
  • Une présence d'animaux (ou l'existence d'une coopération entre cultivateurs et éleveurs) pour avoir du fumier et valoriser les coproduits de la récolte ;
  • Une utilisation de semences paysannes pour une meilleure résistance aux maladies liées aux ravageurs et parasites;
  • Le non-labour (ou le travail minimum du sol) qui contribue à l'amélioration de la fertilité naturelle des sols ;
  • Une présence de couverts végétaux en hiver pour limiter l'érosion ;
  • Un choix de techniques culturales ne nécessitant pas ou peu d'irrigation afin de préserver la ressource en eau ;
  • La présence de haies (ou de pratiques agroforestières) pour favoriser l'équilibre biologique ;
  • Des choix de production adaptés à la saisonnalité du territoire ;
  • Techniques à haut rendement énergétique, telles que le séchage solaire dans les granges à fourrage ; traction animale, la mécanisation ;
  • La lutte intégrée contre les ravageurs, qui utilise la résilience et la diversité des écosystèmes pour lutter contre les parasites, les maladies et les mauvaises herbes, et ne cherche pas à utiliser des pesticides que lorsque les autres options sont inefficaces. 
  • L'agroforesterie, qui intègre des arbres multifonctionnels dans les systèmes agricoles, et la gestion collective des ressources forestières proches ;
  • L’aquaculture, qui intègre les poissons, les crevettes et d'autres ressources aquatiques dans les systèmes agricoles, par exemple dans les systèmes irrigués et les étangs de pisciculture, ce qui permet d'augmenter la production de protéines ;
  • La collecte de l'eau dans les zones arides, qui permet de cultiver des terres autrefois abandonnées et dégradées, et de pratiquer des cultures supplémentaires sur de petites parcelles de terres irriguées grâce à de meilleures précipitations.

En utilisant les techniques de l'agro-écologie, un agriculteur va à la fois améliorer le bilan énergétique de son exploitation (et son autonomie), favoriser la biodiversité, réduire ou supprimer l'utilisation de pesticides. Mais mettre en œuvre et mener à bien une démarche agro-écologique implique de dépasser le stade de l'exploitation agricole. La majorité des enjeux environnementaux se jouent à des échelles spatiales plus élevées : le maintien de la biodiversité à l'échelle des habitats et des paysages, la qualité de l'eau potable au niveau de l'aire d'alimentation de captage, l'érosion au niveau d'un bassin versant, la durabilité des résistances variétales au niveau des territoires et des bassins de production ou de collecte, la réduction des émissions de gaz à effet de serre à un niveau global, etc. Ces échelles spatiales sont donc délimitées à la fois par des facteurs physiques (côté bassin) et humains. Il s'agit de "concevoir des organisations spatio-temporelles des activités agricoles et des structures paysagères adaptées aux caractéristiques du milieu, afin que les agriculteurs bénéficient des services rendus par la biodiversité et les milieux et réduisent les impacts sur l'environnement " (Mzoughi, 2013). Cette démarche d'écologisation de l'agriculture nécessite, pour sa mise en œuvre, l'implication de tous les les acteurs d'un territoire (Colin, 2018).

Le facilitateur doit donc s'intéresser à cette échelle territoriale, soit pour coopérer avec ses acteurs, soit pour les motiver à agir.

La transformation des produits locaux : le chaînon manquant

Les effets de la transformation des produits sur le bilan environnemental restent faibles, s'ils sont isolés de leur contexte, par rapport par exemple aux méthodes de production. L'analyse du cycle de vie (voir annexe graphique 1) du pain issu de blé paysan bio par exemple (selon la méthode Recipe H 2016) indique qu'en dehors de la production de particules fines (liées à la cuisson au bois), l'impact est de 5% sur l'ensemble du cycle (Colin, 2018).

Imaginer une production locale sans les unités de transformation à proximité a des conséquences sur l'équilibre environnemental, social mais aussi économique de toute la chaîne de valeur et de l'exploitation en particulier. Par exemple, le revenu d'un producteur de viande bovine (qui vend localement) peut varier de 1 à 4, selon la présence ou non d'un abattoir à proximité (Chiffoleau 2020).

En Europe, en raison des zones climatiques, la majorité de la production agricole est saisonnière. Il est donc nécessaire de traiter les matières premières pendant les périodes de forte production, à la fois pour éviter d'importer le reste de l'année et pour permettre de soutenir les prix des produits locaux pendant les périodes de forte production. Cela contribue également à améliorer la viabilité économique des petits producteurs locaux.

Même si l'efficacité énergétique d'une petite unité de transformation est a priori moins bonne qu'une production industrielle réduite au kilo de produit, il faut comparer avec la création d'emplois locaux, la réduction de la distance travail domicile, l'autonomie alimentaire de la bio-région, ou changer les indicateurs : ne pas mesurer l'énergie consommée au kilo de produit mais au nombre d'emplois créés/maintenus, d'euros générés (Loïseau et al. 2018).

Les petites unités locales de transformation de fruits et légumes, de viande et de lait permettront l'établissement d'entrepreneurs engagés dans le développement de l'économie locale, même dans les régions rurales ; elles sont capables d'attirer d'autres entrepreneurs pour générer une économie vertueuse. Ils sont tributaires des facilitateurs qui peuvent les soutenir à travers des chaînes d'approvisionnement courtes, pour encourager la transition écologique, sociale, et économique.

Bouchers, boulangers, fromagers, cuisiniers - ces professionnels de l'alimentation ont également la possibilité d'acheter localement, à condition d'aller au-delà de la concurrence apparente (par exemple, les éleveurs peuvent être tentés de mettre en place un atelier de découpe et de transformation pour maîtriser toute la chaîne amont-aval sans avoir besoin du boucher local, c'est le cas pour la vente de viande en caissettes).

Ils peuvent s'associer mutuellement grâce à l'appui du facilitateur, ainsi les artisans locaux peuvent mettre en place des procédés astucieux (ou s'inspirent de techniques traditionnelles), qui contribuent à l'amélioration de la qualité des produits.

  • Les éleveurs valorisent la brèche de la brasserie pour fabriquer des biscuits apéritifs ou pour alimenter les troupeaux, récupèrent l'eau chaude liée au processus de fabrication pour d'autres usages.
  • Les boulangers au levain naturel n'utilisent pas de chambre de pousse (économie d'énergie et moindre investissement), d'autres récupèrent la chaleur du four à bois pour chauffer l'eau ou choisissent des fours à bois avec filtres à particules et optimisation de la chaleur.
  • Les distillateurs, producteurs d'huiles essentielles, chauffent l'alambic avec du bois local.
  • Les artisans utilisent la lactofermentation pour conserver les légumes, un procédé qui ne nécessite pas de cuisson et permet un équilibre nutritionnel intéressant.
  • Cuisson dans un four à bois avec filtre particulier (pour le pain ou les pizzas) si l'énergie est renouvelable et locale (comme le granulé de bois qui rejette moins de polluants) permet de réduire le CO2 et les particules fines.

L'emballage : le symbole d'un système alimentaire industriel

Il est généralement admis que la réduction de la distance de transport entre les lieux de production et de consommation permet de réduire les emballages des produits.  Dans la plupart des cas, les produits bruts CAAC ne nécessitent pas d'emballage pour le transport. En outre, de nombreux consommateurs utilisent des emballages réutilisables tels que des sacs en tissu, des caisses en bois, etc., qui ont une grande importance pour l'environnement car ils ne génèrent pas de transport supplémentaire. Cette réutilisation permet d'économiser de l'argent à la fois pour la production d'emballages et en termes de déchets (Ademe, 2017).

Les emballages plastiques (Ministère de l'écologie, 2019), si l'on ne compte que les gaz à effet de serre, pèsent un peu dans le bilan climatique global par rapport aux modes de production et aux transports mais ils vont souvent main dans la main avec un système industriel, délocalisé, désaisonnalisé. Par conséquent, il contribue indirectement à l'augmentation des gaz à effet de serre. Le facilitateur doit donc travailler sur l'ensemble de la chaîne pour réduire l'utilisation du plastique en travaillant avec les producteurs locaux.

Nous mentionnerons également que les emballages en verre sont appréciés par les écologistes. Cependant, l'étude de l'Ademe (Ma-bouteille, 2021) a montré que 2,3 millions de tonnes de verres sont mis à la poubelle par an, ce qui représente 49,6% du total des déchets. L'étude a également souligné que si nous pouvons réutiliser ces verres qui sont utilisés pour la bière locale, les jus, les sirops, le vin, etc. nous pouvons économiser 75% d'énergie, 33% d'eau et 79% des émissions de CO2 par pays et par an. C'est pourquoi la région française de Sommières et le LEADER (groupe d'action locale soutenu par les programmes de développement rural de l'Union européenne) se sont unis pour lancer de nouveaux projets visant à collecter les verres auprès des consommateurs et à les réutiliser pour la consommation locale. Par exemple, grâce à ce soutien, l'entreprise "Locaverre" a été créée pour collecter les verres et les nettoyer conformément à la réglementation, puis les verres sont retournés aux agriculteurs. Le projet est aussi social car ces activités sont gérées par des personnes handicapées (Helloasso, 2021). 

Nous pouvons déterminer que les facilitateurs ont un rôle crucial dans cette chaîne pour sensibiliser les producteurs et les consommateurs, pour lier les principaux acteurs et pour les aider à utiliser les fonds européens ou nationaux.

Logistique (et modes de distribution) : des marges de progrès importantes

Si l'on ne prend en compte que les émissions de CO2 par kilo de produit transporté, les résultats des systèmes de livraison des CAAC ne sont pas bons : environ 10 fois moins pour un poids lourd de 32 tonnes et 100 fois moins pour un cargo transocéanique que pour une camionnette de moins de 3,5 tonnes (Ademe,2017). Cela signifie que le transport routier a un impact plus élevé sur les gaz à effet de serre que les autres méthodes de distribution.  De plus, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, la livraison du dernier kilomètre représente 25% des émissions de GES et un tiers de celles de CO2.  Le dernier kilomètre est également très coûteux, entre 20 et 50% du coût total de la chaîne d'approvisionnement lui est consacré (Abdelhai, Malhéné, Gonzalez-Feliu, 2014).

Ces chiffres ne prennent en compte que les émissions de CO2 par kilo de produit, considérant alors qu'une tomate bio locale issue d'une semence paysanne est le même produit qu'une tomate issue d'une variété hybride, produite sous serre hors saison et à l'étranger. Ils comparent donc des produits qui ne sont pas comparables. Par exemple, l'impact environnemental (et économique) des investissements publics permettant la circulation des camions n'est pas intégrée. Plus largement, la multifonctionnalité liée à l'achat dans les circuits courts alimentaires n'est pas prise en compte. Il suffit de se promener sur les marchés en plein air pour se rendre compte de la contribution des CAAC aux relations sociales. Il faudrait alors étudier le comportement global de l'acheteur : n'est-ce pas en même temps un loisir d'aller chercher ses produits chez le producteur, comme une promenade en forêt jusqu'à la mer ? Si oui, l'impact environnemental de l'achat d'un produit issu d'une chaîne alimentaire courte doit au moins être comparé à l'impact d'un achat en supermarché plus l'impact du déplacement pour les loisirs.

Néanmoins, il est nécessaire que les CAAC s’améliorent, notamment sur les derniers kilomètres dans les zones urbaines. Le secteur est jeune, très peu, voire pas du tout, organisé au niveau logistique. Il existe des marges de progrès très importantes dans ce domaine (Raton et al.2020). Les villes, particulièrement touchées par la pollution urbaine, et sous l'impulsion du plan climat européen, créent des ZFE (zones à faibles émissions) dans lesquelles il ne sera plus possible de faire circuler les véhicules polluants. Cela les encourage à s'impliquer dans des projets innovants. La mutualisation des transports, au moins à partir de l'entrée des villes, est un enjeu majeur, afin de les mettre à disposition des particuliers, des groupements d'achat, des restaurants, des commerces et autres points de vente, en tenant compte également du fait que de nombreux véhicules reviennent à vide.

Plusieurs grandes villes d'Europe ont des projets de "hubs" dans leurs cartons (plateforme logistique locale) : Nantes avec "Le Kiosque Paysan", Lyon avec un "Marché d'intérêt métropolitain", Madrid avec le projet Madrid km 0. A Marseille, Fab'lim vient d'achever une étude de besoins et il apparaît également que les Hubs associés à la mutualisation sont la solution la plus adaptée pour résoudre le problème du dernier km (Duret,J., 2020).

Les entreprises privées développent également des initiatives de coordination et de mutualisation (collecte chez les producteurs et acheminement vers les points de livraison avec différentes approches) comme Blablacar (covoiturage dans toute la France et en Europe), La Charrette, Local Food Hub, etc.

Exemples d'initiatives pour améliorer l'efficacité économique, organisationnelle et environnementale du transport en circuit court en France, issues du secteur privé ou associatif :

  • Mutualisation entre les intermédiaires du GRAP (groupement alimentaire régional de proximité) : camions jamais vides.

Cette organisation regroupe une cinquantaine d'épiceries de produits locaux et biologiques de la région Auvergne Rhône-Alpes.

Innovation : un producteur de fromage livre toutes les commandes des épiceries du réseau GRAP à l'épicerie la plus proche de chez lui. Le camion du GRAP qui livre les épiceries prend le colis et le dispatche au cours de sa tournée, auprès des épiceries qui se sont positionnées pour acheter ce produit. Le camion n'est jamais vide.

  • Mutualisation entre producteurs

Stéphanie Conrad fabrique des produits laitiers en Normandie. Elle collecte d'autres produits dans les fermes environnantes et fait le marché à Paris, à 150 km - Elle achète les produits à d'autres producteurs et prend donc le risque commercial. Résultat : un seul déplacement pour une dizaine de producteurs.

Soyez attentif à la question de l'assurance pendant la mise en œuvre. Elle peut être différente dans chaque pays partenaire ! 

Dans ces deux cas, ce sont les relations que le chef de projet entretient avec les autres acteurs de la CAAC qui fait le succès. Ces relations interpersonnelles, ces réseaux que l'on crée sur le territoire constituent un terreau fertile pour la coopération vers une "autre économie".

Le contre-exemple serait alors le projet « Promus » : des containers réfrigérés où les paysans vont déposer les produits, qui sont ensuite récupérés par des transporteurs. Les paysans des Monts du Lyonnais, par exemple, n’ont pas adhéré, car ce système leur semblait trop impersonnel : les circuits courts visent au contraire à re-personnaliser l’économie, à la réencastrer dans des relations interpersonnelles pour favoriser une économie plus durable sur tous les plans.

Pour réduire le transport, une autre solution consiste à installer le producteur à proximité du consommateur. Les décideurs ont pris conscience, notamment lors de la crise sanitaire du printemps 2020, de la dépendance alimentaire de leur ville. Ils engagent des actions qui faciliteront la production agricole dans les zones urbaines ou à proximité des villes (via par exemple la mise à disposition de terrains). A l'inverse, en créant de l'activité en milieu rural, le consommateur se trouve de fait, si le territoire est orienté vers ce modèle de CAAC, à proximité des lieux de production. La crise sanitaire fait aussi bouger les lignes : le nombre de parisiens qui veulent par exemple quitter Paris pour travailler et vivre à la campagne a fortement augmenté en 2020 (lechemindesmures, 2019).  Cela amène naturellement une nouvelle clientèle proche des paysans, à savoir des citoyens qui sont souvent déjà consommateurs de produits bios.

La mission de tout facilitateur est de développer son réseau relationnel au plus près de ceux qui peuvent l'aider dans la recherche des solutions les plus écologiques (élus, porteurs de projets de mobilité ou/et de centres logistiques locaux...).  Il doit avoir à l'esprit des éléments sur le coût de la logistique, car les agriculteurs négligent souvent les questions de transport et d'environnement alors que la livraison est souvent un élément peu coûteux.

Les consommateurs

     A. Les tiers lieux.

Dans l'agriculture soutenue par les consommateurs ou les groupements d'achat, une nouvelle définition des "tiers lieux" est apparue, où fleurissent des initiatives citoyennes d'approvisionnement en produits locaux de qualité.  L'idée vient des bureaux de co-working qui se sont développés comme un point de rencontre interculturel pour les personnes qui veulent se rencontrer, manger, discuter, jardiner et faire quelque chose ensemble. Ces lieux alternatifs accueillent diverses activités : éducation populaire, hébergement social, restauration, vente en circuits courts, agriculture et jardinage, économie circulaire, recherche citoyenne, événements culturels, etc.  Leurs caractéristiques sont diversifiées puisqu'ils peuvent être gratuits et payants, destinés aux citoyens ou aux professionnels, liés à l'agriculture, à l'alimentation, au jardinage, à l'art ou à l'éducation.

La motivation des facilitateurs est de rechercher des fournisseurs de produits locaux issus d'une agriculture respectueuse de l'environnement, qui contribuent à améliorer l'attrait des consommateurs locaux pour les produits locaux et sains. Par exemple, ils acceptent (et apprécient) les fruits et légumes dits "moches" (qui ne sont pas commercialisables en grande surface, ce qui contribue à réduire les pesticides au final, car pour produire un fruit ou un légume "zéro défaut", il faut traiter en amont.

Ces tiers-lieux peuvent être des jardins urbains partagés, des cuisines, des marchés de producteurs, des lieux publics, des fermes où les gens apprennent l'agriculture, achètent des produits locaux, acquièrent des connaissances sur les pratiques de l'agro-écologie et les agriculteurs, sensibilisent la jeune génération, aident à développer les petits villages.

     B. Restauration publique verte

Dans toute l'Europe, la réorganisation de la restauration publique est un sujet important. En France, la loi Egalim prévoit d'imposer 50% de produits durables, dont 20% de bio, dans la restauration collective publique d'ici 2022. L'achat local en restauration collective permet de valoriser les bonnes pratiques durables déjà mises en œuvre au sein de l'agriculture locale et d'encourager - par le biais d'un contrat, par exemple - la transition écologique auprès d'exploitations agricoles qui ne sont pas encore engagées dans de telles pratiques. Y compris dans la restauration collective privée ou commerciale, un cuisinier ou un commis de cuisine motivé peut stimuler une démarche d'achat de produits locaux et encourager un cercle vertueux sur le territoire. Les parents d'élèves peuvent encourager les responsables locaux à favoriser la transition vers des produits bios et locaux dans la restauration collective.

Le facilitateur peut utiliser cette énergie pour faire grandir ses projets, voire en fonction de son positionnement, stimuler des démarches de ce type.

Gouvernance

Aucune des 5 étapes des chaînes d'approvisionnement (production, transformation, logistique, conditionnement, consommateur) mentionnées ci-dessus ne peut être mise en œuvre efficacement par un seul facilitateur.  La coopération entre les acteurs associés à la réglementation est nécessaire pour que les effets indésirables ne se produisent pas. Cette gouvernance est de la responsabilité des élus, mais aussi de tous ceux qui animent le territoire. Les facilitateurs du CAAC ont un rôle crucial pour renforcer la transition écologique étape par étape en fonction des besoins des acteurs locaux.

La bonne gouvernance préserve l'identité territoriale d'un produit, évite la surexploitation des ressources locales, facilite l'accès aux ressources externes et répartit les coûts et les avantages entre les parties prenantes concernées" (Brunori, G. at el, 2016).

Les facilitateurs doivent avoir une approche systémique pour être en mesure de passer en revue toutes les étapes des chaînes d'approvisionnement locales. Ils sont en mesure d'assurer la transition écologique s'ils ont une bonne connaissance de leur territoire de travail, un aperçu des défis personnels, politiques, économiques, sociaux, technologiques et environnementaux, ainsi qu’une vue d'ensemble des acteurs impliqués. Il faut souligner qu'ils ne sont pas obligés de tout connaître mais ils doivent avoir la capacité d'établir des liens entre les personnes pour assurer les actions entreprises.

CONCLUSION

Affirmer que les CAAC et la transition écologique vont de pair ne va pas forcément de soi dans la réalité.  Lorsque le transport, l'emballage et la transformation locale sont traités un par un, les CAAC ne peuvent pas démontrer aujourd'hui leur efficacité environnementale.

Le fait que les CAAC soient obtenues auprès de paysans engagés dans des pratiques agro-écologiques (il faut s'en assurer) mais qu'ils contribuent également à l'écologisation de l'agriculture est cependant un facteur déterminant.

Pour mesurer l'intérêt des chaînes courtes d'approvisionnement alimentaire en termes de transition écologique, il faut d'avoir une approche globale. Le consommateur qui va chercher son panier de légumes bio à vélo, par exemple, fait bien plus qu'acheter des légumes locaux. Il assure le dernier kilomètre sans émission de gaz à effet de serre, s'enquiert de la qualité des produits et partage ses connaissances avec ses enfants, cuisine des produits frais sans ajouter d'additifs, etc. L'auto-constructeur qui construit sa maison en bois et en paille locale fait bien plus que son propre logement. Il valorise les sous-produits agricoles (paille), réduit fortement les déchets (matériaux biodégradables), ne génère pas de déchets, crée souvent son activité sur place (en télétravail par exemple) et soutient ensuite le paysan en achetant ses produits.

Des études prospectives à grande échelle n'ont pas encore été réalisées pour montrer quels seraient les effets, en termes de transition écologique, d'une économie majoritairement relocalisée et repersonnalisée.

Les multinationales de la distribution ont depuis plusieurs années senti le vent tourner et se positionnent sur un approvisionnement en chaînes courtes, sur des modèles de contractualisation qui obéissent aux mêmes règles que pour les chaînes d'approvisionnement longues.

Nous devons nous attendre à ce que coexistent des chaînes alimentaires courtes avec des méthodes de chaîne d'approvisionnement longue et des circuits courts d'une "économie relocalisée et repersonnalisée". En effet, la demande est croissante et il est peu probable que les modèles mis en place par les acteurs historiques (agriculture à soutien collectif, magasins de producteurs, etc.) aient la capacité de les satisfaire en un temps record. Les circuits courts porteurs d'une "autre économie" peuvent en revanche, à moyen terme et dans une logique d'essaimage et de mise en réseau, rééquilibrer les rapports de force, au sein des filières comme des territoires : les facilitateurs ont un rôle clé à jouer.